Wednesday, March 10, 2010

L'art du bluff

A moins d'être imbu d'un penchant pour le masochisme, il serait rare le citoyen qui n'aspirerait pas à vivre dans une société qui, d'une part, éveille le sens de la responsabilité et de la collaboration et, d'autre part, brime l'instinct de la méfiance et de la confrontation. Ceci, bien évidemment, afin que l'intérêt général prime sur des affirmations trop cyniques pour être avouables. Quand l'émergence d'un réformateur devient une urgence palpable, nombreux sont ces imposteurs, arborant le costume du messie, qui se bousculent à l'approche des élections. Hélas, ce triste sort n'épargne que trop peu de pays.

S'il y a quelqu'un dans le paysage politique international d'aujourd'hui qui incarne le plus brillamment ce know-how c'est bien Nicholas Sarkozy, le président français. Un leurre qui n'a pas échappé à la vigilance de Pierre Cahuc et André Zylberberg, respectivement professeur d'économie à l'École polytechnique et directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Leur décryptage, publié dans "Les réformes ratées du président Sarkozy", ne manque pas de pertinence par rapport à ce que Maurice subit.

Le réquisitoire n'est pas fondé sur un antagonisme primaire mais sur une analyse minutieuse des faits. Ils écrivent sans ambages:

"S'affichant comme un grand réformateur, Nicholas Sarkozy a jusqu'à présent davantage conforté que remis en cause les corporatismes. Il a conçu une méthode originale reposant sur deux principes : l'étouffement et la conciliation. En ouvrant constamment de nouveaux chantiers, Nicholas Sarkozy cherche à étouffer tous ses opposants réels ou supposés. Il maîtrise ainsi l'agenda des réformes tout en espérant saturer les capacités d'expertise et de résistance de ses adversaires. En revanche, lorsque les revendications catégorielles deviennent fortement médiatisées, il s'empresse de les satisfaire".

Certes, ce ne sont pas la débauche d'énergie et la clairvoyance des blocages et des enjeux qui font défaut au président hyperactif. Comment expliquer alors cette incapacité à répondre
aux attentes et aux besoins réels des citoyens? Pierre Cahuc et André Zylberberg sont catégoriques, cela ne peut que découler d'un Parlement "sous influence". Plus précisément le poids des lobbies économiques qui dictent les politiques et réduisent la démocratie électorale à sa dimension la plus servile.

Pierre Cahuc et André Zylberberg ne manquent pas, à l'image d'autres esprits avisés, de dresser le parallèle entre cette propension à envoyer des signaux contradictoires avant de cafouiller et les mesures préconisées par la Banque mondiale dans les pays émergents qui se soldent presqu'invariablement par un échec. Car la "réussite des réformes repose sur la qualité des institutions du pays qui les met en oeuvre et non sur les moyens octroyés par la Banque mondiale".

Le changement demeurera un fantasme aussi longtemps que les gouvernements, les citoyens et les médias mainstream restent "sous influence". D'autant plus quand les joutes électorales sont tellement délégitimées qu'aucun parti en liste ne mérite de gagner. Finalement, il incombe aux citoyens de faire l'effort de distinguer entre la camelote et l'authentique. Qu'il s'agisse de leader, d'expertise ou de valeurs.