Maintenant que le terme « système », plus précisément son déclin, résonne au sein de l’espace politique mauricien, du moins dans sa mouvance « extra-parlementaire », les Mauricien(ne)s justement désenchanté(e)s par ce « système » en place doivent pousser un ouf de soulagement. Histoire de raviver un espoir qui s’est bien évaporé.
Les politiciens mainstream ne s’aventurent guère dans cette zone où « sanzman » ne rime pas avec pipeau. On dirait pour manifester une décence spontanée afin de ne pas scorer un « own goal ». Pourtant, même si ce « système » bluffant de dissonances porte l’empreinte profonde de ces politiciens, rien ne les empêche, dans un élan d’humilité inimaginable (et d’intelligence pratique), d’exprimer un mea culpa et de jeter les bases d’un « sanzman » réel avec un plan d’action aussi détaillé que cohérent et convaincant. Autrement, ils continueraient de baliser leur chemin vers une postérité qui leur réserverait une place pas très glorieuse. Heureusement que la crédibilité n’est pas toujours irrécupérable.
Par « système » nous entendons principalement le réseau national, fondamentalement connecté à l’international, au sein duquel nous interagissons en permanence. Plus le « système » est sain, plus notre mental nous porte vers un bien-être individuel d’abord, collectif par ricochet. Plus il est toxique, plus nous tendons vers un déséquilibre existentiel et un repli identitaire. Le monde dans lequel nous vivons depuis les années 80 porte le sceau de l’ « ultralibéralisme », qui se résume à une course aveuglée par des gains matériels, quitte à pervertir les moyens et infecter notre propre habitat pour y parvenir. Nous en subissons tou(te)s les conséquences d’une manière ou d’une autre, selon nos styles de vie et le pays dans lequel nous vivons.
Dans cette situation, deux blocs émergent comme ceux qui ont su créer les conditions pour minimiser l’impact de l’« ultralibéralisme » mondialisé, notamment les pays nordiques (la Suède, le Danemark et la Norvège) et les pays que nous nommerons ici confucéens (la Chine, la Corée du Sud et Singapour). Il ne s’agit pas d’idéaliser l’un ou l’autre, mais de déconstruire leur « succès » relatif. Bref, ces nations évoluent dans un registre insufflant généralement la confiance dans le « système » respectif et l’esprit de la collaboration – des liens sociaux incontournables dans la construction d’une nation qui réussit par exemple son branding de façon organique, sans consultants inutiles mais grassement rémunérés. Bien que philosophiquement différents dans leur approche (liberté individuelle d’abord pour les Nordiques, paternalisme éclairé chez les confucéens), les deux blocs se distinguent par leur pragmatisme.
SOS
Hélas l’archipel mauricien fait partie de nombreux recalés de l’« ultralibéralisme » mondialisé. Notre créativité, notre sens de l’innovation et notre esprit entrepreneurial étant bridés par des récits aussi clivants que lourdement euro-centrés, plus franco-français-centrés en fait depuis notre statut « républicain », donc déconnectés des réalités du terrain. Le tout au plus grand bonheur des forces conservatrices qui ont intérêt à ce que le « système » en place s’enracine. Si l’ « ultralibéralisme » mondialisé a permis à de nombreux citoyen(ne)s, surtout au sein des pays « en développement », de sortir de la pauvreté absolue, il a simultanément mondialisé les inégalités économiques internes, les catastrophes sanitaires, humanitaires et environnementales. Pour répondre aux défis systémiques, l’approche stratégique et interdisciplinaire se fait toujours attendre. ChatGPT, entre autres, va certes étoffer les informations accessibles, mais nous nous leurrons si nous pensons atteindre nos objectifs sans discernement et sans en faire un usage intelligent.
Les pourfendeurs du « système » n’ont jusqu’à présent pas démontré qu’ils creusent jusqu’aux racines de notre mal-vivre ensemble: la concentration disproportionnée de la richesse nationale générée. Est-ce par paresse intellectuelle, par complaisance ou par frilosité face à un tabou – soit une oligarchie économique issue d’une petite minorité ethnique, descendant de nos anciens colonisateurs ? Tôt ou tard, la situation va se décoincer mais ce sera dans la douleur si nous ne sommes pas vigilants et proactifs. Ce qui est évident en revanche, on ne guérit pas un malade en le stigmatisant ou plus substantiellement sans un diagnostic incisif et complet.
Comment sommes-nous pratiquement passés de la monoculture cannière à celle du béton? Pourquoi faisons-nous de l’exportation une obsession en prétendant parallèlement qu’une roupie « compétitive », une monnaie de singe en vérité, pas les gains en productivité et une ressource humaine bien formée et motivée, serait le moteur de notre compétitivité et de notre progrès? Pourquoi, en contrepartie, nous désindustrialisons le pays; nous occultons le fait que la production alimentaire peut aussi contribuer à assainir notre balance de paiement; nous subventionnons des smart cities aussi smart que des inaptocrates peuvent l’être et essentiellement dédiés aux étrangers en quête d’optimisation fiscale et rendons inaccessible le logement (ne parlons pas de l’habitat) aux locaux; et finalement, nous attribuons à un paradis fiscal des vertus d’une démocratisation économique?
Nous avons bâti un pays qui fonctionne à multiples vitesses. Seul un autre « miracle » peut rendre viable un tel modèle. La mondialisation et l’économie de marché tournent au drame quand les institutions telles les chiens de garde contre la corruption et pour la concurrence ne mordent pas continuellement et férocement, ce sans « get figir ». Au niveau international, le moment est venu pour que l’Organisation mondiale du commerce incarne un rôle moins ringard, plus percutant. Afin d’être habilitée à sanctionner et restreindre les abus au sein de la supply chain (matières premières, pétrole, produits pharmaceutiques etc.) et des transporteurs maritimes et aériens.
Nous ne pourrons pas subir ce théâtre de l’absurde ad infinitum. Le leadership qui lancera les signaux décisifs aptes à dompter les facilitateurs des inégalités systémiques et à synergiser toutes les parties prenantes finira bien par nous sauver de ce marasme. Agissons vite à notre niveau et espérons. Car une instabilité qui s’installe dans la durée n’est dans l’intérêt de personne. Surtout, veillons à ne pas faire de « systémique » un autre slogan creux…