Friday, September 13, 2019

Ces mythes qui nous pourrissent la vie


Il y a environ une décennie, certains des plus riches Allemands se sont publiquement engagés à contribuer à une part plus équitable des impôts. En 2011, le milliardaire américain Warren Buffet nous avait même avertis: "Arrêtez de dorloter les ultra-riches". En effet, les crédits d'impôt, la comptabilité créative et les paradis fiscaux lui permettent de payer un taux d'imposition inférieur à celui de sa secrétaire. Le Britannique Jeremy Corbyn incarne sans doute la tentative politique la plus crédible remettant en cause le statu quo dans un pays relativement puissant. Le pape François agissant lui comme un des médiums de conscientisation.

La concentration de la richesse, généralement facilitée par des réseaux corrompus, n'arrête pas de tourmenter les populations du monde entier, même si à des degrés divers. La colère populaire n’est malheureusement pas abordée partout de manière raisonnable. Le changement nous est désormais imposé. Comment et quand cela se produira-t-il concrètement? En tout cas, on n'est pas convaincu que le message soit bien reçu au sommet du monde des affaires et de la politique à Maurice. Il est temps de débusquer le bluff qu'ils souhaiteraient sans doute promouvoir ad infinitum. Voici quelques composants clés:

Indépendance: ce que nous vivons à Maurice ne fait pas exception dans un contexte postcolonial. L’indépendance politique officielle vis-à-vis de nos colonisateurs nous a conduis à une néo-alliance entre la nouvelle oligarchie politique et le « secteur privé », qui est en soi un euphémisme pour « oligarchie sucrière ». Le conte de fées de la démocratie électorale s’est révélé être une ploutocratie sordidement conçue, où les ultra-riches de tous bords dictent les politiques publiques pour un enrichissement supplémentaire. Simultanément, France Inc. et India Inc. scrutent les marchés dans le secteur de « l'aide au développement » tout en gardant China Inc. sous observation. Tout cela avec le conseil de la Banque mondiale et de leurs semblables.

Miracle: la phase de développement associée à nos Quatre-vingts Glorieuses est  essentiellement infrastructurelle – la structure du pays étant laissée à elle-même. Cela s'est passé sans souci de planification, sans vigilance des coûts et sans recherche de l'excellence, normes minimales n’en parlons même pas. Pourquoi s'inquiéter alors que nous pouvons toujours compter parmi les stars de l'Afrique. Pire encore, l'écart entre l'offre et la  demande dans pratiquement tous les domaines a continué de croître. D'où la pression toujours croissante sur le système.

« Nous sommes mieux éduqués »: en effet, si nous parlons d'accès relatif au diplôme académique. Mais c'est loin d'être entendu que nous ayons hérité d'un capital humain mieux formé, plus compétent, digne de confiance et plein d'entrain, qui soit pertinent aujourd’hui. Internet a certes considérablement réduit l'asymétrie de l'information diffusée. Nous devrions toutefois réfléchir à sa valeur compte tenu du fait qu’une grande partie de l’audience est soit dépourvue de sens du discernement, soit trop occupée à fuir une crise existentielle, ou les deux.

La faiblesse de la roupie « forte »: s’attendre à ce qu'une ponctuation salariale  collective (à travers la dépréciation systématique de la roupie) puisse accroître la productivité du travail tout en visant à satisfaire l’obsession de la croissance du PIB, quels que soient les coûts (y compris environnementaux), est un délire. Il n’est pas étonnant que la trajectoire de la roupie mauricienne (en baisse d’environ 90% vis-à-vis du dollar américain au cours des 40 dernières années) par rapport à celle du dollar de Singapour (en hausse de 30% environ) témoigne également d’un parcours drastiquement contrasté. Un sort qui pèse lourdement sur les coûts d’emprunt, qui, d'une part, multiplie le nombre d'entreprises et de ménages qui s'engloutissent dans le piège de l'endettement, et qui finit, d'autre part, par parasiter le mental. Il convient de mettre en évidence que, pour atténuer les distorsions au sein du marché local quand  les fonds offshore s'y infiltrent, pratiquement tous les paradis fiscaux arriment leurs monnaies solidement à une devise de référence.

« La république »? : il est rare que lorsqu'elle est prononcé en français, « république » ne fasse pas allusion à « liberté, égalité, fraternité ». Dans sa forme abstraite, elle peut certainement aspirer à sa prétention « universelle ». Mais en Norvège, par exemple, qui est une monarchie constitutionnelle, l’impression de souveraineté citoyenne est bien mieux ressentie à la base qu’en France ou à Maurice d'ailleurs. La moralité est que nous devons rester prudents vis-à-vis des concepts fétichisés qui agissent en fait comme un écran de fumée au profit d’initiatives vaseuses.

« Le communalisme est dans nos gênes »: il y certainement parmi nous quelques concitoyens qui vivent avec un état d'esprit sectaire. Mais la plupart d'entre nous sont à l'aise avec les différences culturelles. Projeter ses frustrations sur l'Autre découle rarement du libre arbitre. Il serait plus pertinent de calmer l'ardeur des artisans de l'instrumentalisation de ces différences et de déconstruire le repli identitaire. Voter avec une impulsion sectaire est en effet loin d'être un courant majoritaire. Les excuses foireuses pour ne pas remettre à jour le recensement ethnique représente aussi cette propension à éviter pathétiquement la complexité des situations et à aggraver nos problèmes.

« Mauricio est trop coûteux pour nous »: il serait donc plus méritant de tolérer les défaillances du marché, les pots-de-vin, les projets de prestige (Harbour Bridge, Safe City – même si la sécurité publique est toujours justifiée, etc.), les inefficiences systémiques? Un réseau ferroviaire national ne doit pas être envisagé du point de vue de la faisabilité financière. Il faut le rendre abordable aux utilisateurs pour atteindre le sens social et économique qu’il justifie. Tant que la transparence et l’impératif écologique priment. La vérité est qu’une grande partie de l’argent public est soit détournée au moyen de contrats publics et des corps parapublics, soit gaspillée, notamment par la duplication excessive d’emplois et d'organismes publics, les pensions de retraite abusives auto-attribuées. Un gouvernement allégé et un chien de garde de la concurrence qui mord vraiment comptent parmi les facteurs essentiels contribuant à la réduction des coûts liés aux activités commerciales/industrielles et à la gestion d'un ménage.

« La réforme » magique: à moins que l’on ne soit fatalement enfermé dans une chambre d’écho ou que l'on souffre d'une paresse intellectuelle aiguë, qui d'autre bien dans sa tête prétendrait que la «stratégie» mise en œuvre dans la période 2005-2010 avait une portée visionnaire qui nous a effectivement rendu moins vulnérable et plus percutant? Paradoxalement, cette approche qui a animé le prétendu miracle également caractérise le cercle vicieux créé par nos décideurs. Des opérations de colmatage, bâclées de surcroît, ne répareront jamais un système qui se désintègre à petit feu.

« Feelgood factor »: de temps en temps, il y a des événements qui rassemblent les citoyens et dope leur journée. Vous ne vous attendriez quand même pas à ce qu'ils se vautrent en permanence dans un état maussade? Ces sentiments de bien-être durent rarement assez longtemps pour faciliter le déploiement de mesures douloureuses visant à réinventer le système. Nos Quatre-vingts Glorieuses offraient justement cette opportunité qui hélas n'a pas été exploitées. Un programme plus gratifiant pour tout gouvernement serait plutôt de réfléchir à comment créer les conditions qui permettraient aux citoyens de s'identifier de manière soutenue à la construction du projet Maurice. Autrement, nous serions toujours témoins de comportements plus civiques et sophistiqués, comme avant le « miracle », cela dit sans idéalisation, que des agissements ostentatoires, religieux comme matériels, ou autres qui alimentent une méfiance réciproque.

En fin de compte, il ne s'agit pas, par exemple, de convertir le capitalisme hardcore, taillé pour les (grands) actionnaires, en capitalisme citoyen. Une idéologie ou une doctrine qui en chasse une autre a un bilan lamentable, tel un slogan d'une publicité mensongère, pour lequel nous continuons de payer chèrement. L'espoir renaîtra à  travers une intendance qui nous inspire avec des idées hybrides. Le capital social nourrit la performance économique honorable. Prêcher dans l'autre sens est absurde.



Thursday, September 12, 2019

The fattest lies we keep telling ourselves

A decade or so ago, some of the richest Germans publicly pledged to contribute to a fairer share of taxes. In 2011, American billionaire Warren Buffet even warned us: "Stop coddling the rich". As, in effect, tax credits, creative accounting and tax havens allow him to pay less tax rate than his secretary. In this era, Britain's Jeremy Corbyn is arguably the first significant political bid to challenge the status quo in a major nation.

Wealth concentration, usually enabled by corrupt networks, has been tormenting populations worldwide, even if in varying degree. Worryingly, the popular anger it fuels is not being addressed in reasonable measure everywhere. Change is being imposed upon us. How and when will it happen concretely is anybody's guess. It is still unclear whether in Mauritius the message is getting through to where it matters: the top of the business and political world. It is time to call the sham they are set to promote as long as possible. Here are some of its key components:

Independence: Mauritius has been going through the same experience as most other countries in a post-colonial setting. In the wake of the official political independence from our colonisers, Mauritian citizens have been shackled by a neo-alliance between the post-independence political oligarchy and the "private sector", a misnomer for the sugar oligarchy. The fairy tale of electoral democracy has typically revealed itself as a sordidly engineered plutocracy, where the filthy rich of all shades dictates public policies for further capture. Simultaneously, Corporation France and Corporation India prey on deals in the Aid Industry while keeping Corporation China in check. All under the consultancy of the World Bank et al.

Miracle: The development phase associated to our Roaring Eighties onward is essentially infrastructural - the structural upgrade going conspicuously missing. It happened without any concern for planning, cost effectiveness and quest for excellence, let alone minimum standards. Why worry when we can nonetheless afford celebrating stardom, even if waning, within Africa. Worse, the gap between supply and demand in practically every field keeps broadening. Hence the permanent squeeze on the system.

"We are better educated": Indeed if we refer to relative access to academic diploma. But it is doubtful whether we inherited a better trained, more competent, trustworthy and cheery human capital relevant for today. Surely Internet has considerably reduced the asymmetry of information disseminated. We should however ponder its worth considering that a large segment of the audience is without much sense of discernment, too absorbed escaping an existential blow, or both.

The (fake) power of a sinking rupee: Expecting a collective pay cut to reverse the depressed labour output while also aiming at satisfying the obsession for GDP growth, whatever the costs (including environmentally), is delusional. It is little wonder the trajectory of the Mauritian Rupee (down ~90% against the US$ over the last 40 years) compared to that of the Singapore Dollar (up ~30%) also tells a brutally contrasting achievement story. A plight that weighs on borrowing costs, multiplies the number of debt-ridden businesses and households, and sours the national mojo. It is pertinent noting that to mitigate the distortion of their domestic markets as offshore money filters into them, practically all tax havens wisely and solidly anchor their currencies.

What's in "la république"? : More often than not, who is voicing a word or a concept and in which language it is being conveyed can twist its meaning. For instance, it is rare that when uttered in French, "la république" is not alluding to "liberté,égalité, fraternité". In its abstract form, it may certainly aspire to its "universal" claim. But in Norway, say, which is a constitutional monarchy, the feel of public sovereignty at grassroots is way less skin deep than in France or Mauritius for that matter. The point is that we should stay wary of tokenism, the practice that elevates evocative symbols as a smokescreen to self-serving initiatives. Tokenism is not exclusive to "la république", it permeates the system, undermining trust in institutions and weakening the rule of law.

"Communalism is in our genes": There are certainly among us a few fellow citizens who live with a sectarian mindset, however most of us are very comfortable to relate to cultural differences. Projecting one's frustrations on the Other rarely comes out of free will. It would be more productive to pick on the hawks bent on instrumentalising our differences and deconstruct what constitutes the everyday reality without privileges. Voting with a sectarian impulse does not mirror the core of mainstream responses. The lame excuses for not updating our ethnic census is a representation of our propensity to shun complexity foolishly and compound our problems.

"Mauricio is too costly for us": Better put up with market failure, kickbacks, pet projects (Harbour Bridge, Safe City - even if public safety is always warranted, etc.) and endemic shoddiness then? A nationwide railway network must not be viewed through the lens of financial feasibility. It must be made affordable for commuters to meet the social and economic sense it justifies. As long as full transparency and a green mindset prevail. The truth is that a huge portion of public money is being siphoned through, namely, public contracts, parastatals, and wasted on over-duplication of public jobs and offices, self-targeted and abusive pensions, etc. A lean government and a competition watchdog that really bites count among the pre-requisites for keeping the costs of doing business and running a household lowest.
 
The glorious "reform" days: Unless one is hopelessly trapped in an echo chamber or suffers from chronic lazy thinking, who in her right mind would claim that the "strategy" implemented in the 2005-2010 period was a visionary move that has effectively made us less vulnerable and more cutting edge?  Ironically, the rationale, that shaped the so-called miracle too, reflects the vicious cycle our policymakers have unwittingly fomented and the mess we are stuck in. Sloppy tinkering will never mend a system that is breaking by the day.

Feel-good factor: Every now and then there comes an event that rallies citizens and lifts their day. You would not expect them to wallow in a sullen mood without respite, would you? It is human nature to look forward to something with a potential to radiate positive vibes. Such feel-good moments rarely last long enough to welcome the implementation of painful policies designed to reinvent the system. The opportunity was there during the Roaring Eighties but was not harnessed. A more rewarding programme for any government would rather be to create the conditions for citizens to identify consistently to Mauritius-building. Otherwise we would be witnessing plenty of sophisticated ways and civic sense instead of creeping ostentatious behaviour, religious and material. Just like before the "miracle".

Ultimately, it is not merely about rebranding hardcore capitalism, that runs for (big) shareholders, into stakeholder capitalism. The one ideology or doctrine chasing another approach has a miserable track record we are still paying dearly for. The call is for a stewardship inspiring us with hybrid ideas. Social capital precedes a stellar economic performance. The opposite is bullshit.