Le rationalisme ... est une forme sécularisée
de la croyance en la puissance de la parole de Dieu
Paul Feyerabend, philosophe des sciences
Quand la concentration de la richesse
s'intensifie, elle finit par produire des inégalités qui parasitent le mental
des citoyens. Quels sont les catalyseurs? Avant d’envisager un renversement de
situation, nous devons nous débarrasser de nos œillères.
Fausse piste
Les mages du libéralisme
économique prêchent le laissez-faire pour nous protéger semble-t-il de « La
Route de la Servitude». Quelle que soit sa
définition, la version du capitalisme qui a façonné la plus grande partie du
monde depuis les années 1980 est une incarnation du néolibéralisme, soit son
expression la plus extrême. « Le
marché n'est jamais défaillant », « le
gouvernement est le problème, pas la solution » et « la
planification est inutile » sont les dogmes
qui sévissent. Le « consensus
de Washington » s’est donné pour mission
de conquérir les pays vulnérables. Le constat du sociologue économique Karl
Polyani était prémonitoire : le néolibéralisme conduirait tôt ou tard à un
chaos sociétal; la dégradation de l'environnement comptant parmi les dommages
collatéraux.
Alors que la colère des
citoyens gronde crescendo à travers le monde, il faut être idéologiquement
asservi ou un pantin pour ne pas réaliser que la théorie économique « du
ruissellement » est
une imposture. On nous a fait gober que, lorsqu'ils sont perçus comme « répressifs », les impôts
constituent une entrave au dynamisme des entreprises et à la création
d'emplois. En revanche, lorsque les entreprises sont libérées du fardeau de la
taxe et de la supervision, elles créent une richesse qui sera partagée
généreusement. Peu importe si ce sont plus souvent des miettes, voire rien du
tout, qui ruissellent. Un sort qui est sournoisement amplifié par l’évasion
fiscale et les conduits des paradis fiscaux. Lorsque les choses tournent
mal, notre État-providence, déjà pas très performant, devient la cible
facile, le travailleur « paresseux » et le millénial, le punching ball.
Le dilemme imposé :
adopter le capitalisme ou sombrer en tant
que « socialiste » crétin. Même si le socialisme, comme
l'articulait le philosophe John Stuart Mill, peut intégrer l'entreprise privée
sans problème. L’entente conglomérats-gouvernement n’est pas
nécessairement un complot, elle peut également découler d’un accord tacite
convergeant vers des avantages mutuels anticipés. L’entente constitue le
Cercle des Goulus. Ce dernier est agencé par des politiciens et des
"experts" parrainés, promu par des médias complaisants et motivé par
des citoyens sans discernement. Ne comptez pas sur ses membres pour
admettre que, généralement, les marchés sont aménagés contre les
99,9%. Pour les récalcitrants, toute tentative visant à renverser le
fétichisme du marché infaillible porte le sceau du «socialisme».
Aujourd'hui, les
Etats-Unis, bastion du capitalisme, a du mal à contenir Big Tech après des
décennies de laxisme des régulateurs. Les fusions, les monopoles et les cartels,
en sus de brimer la concurrence, pompent le revenu disponible des ménages et la
trésorerie des entreprises privées. Quand en plus les entreprises
publiques et la fonction publique sont inefficientes la situation se corse. Il
est absurde de s'attendre à ce qu’un capital humain et des entrepreneurs
déprimés soient productifs et inventifs. D'ailleurs, les attributs du
Néo-Mauricianus (y
compris les porte-paroles néo-conservateurs des conglomérats se transformant
en « progressistes » candides du
jour au lendemain après leur retraite), « produit » typique
de notre « miracle », laissent difficilement indifférents qui que ce soit
avec un peu de recul et de jugeote.
Les gouvernements smart
s'efforcent d'internaliser les nuances du système et mettent en œuvre des
politiques qui prennent en compte un maximum de variables. Comment peut-on
s'attaquer aux problèmes et proposer des solutions si on les évite ou on
externalise la réflexion aux consultants, souvent étrangers ? Que diriez-vous
de l’évaluation de la confiance des consommateurs à travers le bourdonnement
autour des centres commerciaux et des supermarchés? Indépendamment de la
disparition progressive des boutiques de quartier; de la quantité de nourriture
avec un piètre rapport qualité-prix et ultra-transformée dans les caddies; de
l’omniprésence des articles contrefaits; du simple fait de lèche-vitrine; de
l’inaccessibilité aux activités de loisirs sains; etc.
Voici un échantillonnage
de nos manquements parmi les plus édifiants :
- L’accent ne doit pas être sur la consécration d’une nation de détenteurs de diplômes et d’entrepreneurs, mais sur l’éducation de citoyens habiles, prenant des risques, créatifs et dotés d'esprit civique;
- L'indice de la facilité de faire des affaires ne reflète pas toujours l'expérience réelle, comme par exemple le temps nécessaire pour qu'un compte bancaire soit opérationnel;
- Les incertitudes causées par une gouvernance ultra-opaque et un manque de prévoyance augmentent les risques. En obligeant les entreprises à gonfler leurs prix pour couvrir ces risques injustifiés, la cumulation de l'inflation des prix compromet sérieusement notre compétitivité globale;
- Le planning familial instauré par notre premier gouvernement postindépendance était une décision sage pour le court terme. Par la suite, en raison de la mauvaise gestion de notre démographie, notre marché intérieur va littéralement se contracter (alors qu’il aurait dû croître pour gagner en vivacité) avec une population vieillissante, un taux inadéquat de natalité et une fuite des cerveaux. La pression sur les caisses de pension rend la situation intenable;
- En associant la notion du développement aux seuls projets d'infrastructure, de surcroît sans contrôle rigoureux sur la qualité et les coûts, la corruption devient endémique et le système bancal;
- En laissant mourir son artisanat, le pays perd doucement son âme.
Slowbalisation
Le Cercle des Goulus a été le gagnant incontesté de la mondialisation récente en termes de gains strictement matériels. Notre « miracle » a été construit sur des bases malsaines. Pire, « la réforme » a été un leurre qui a exacerbé les distorsions déjà existantes. C’était prévisible que nous allions subir les conséquences. Notre obsession « calculée »pour l'exportation nous a aveuglés sur le fait qu'il est également possible d'équilibrer nos comptes avec des produits de substitution à l’importation, ce qui signifie produire plus pour la consommation locale et, par conséquent, dépenser moins de devises acquises sur l’exportation.
Le Cercle des Goulus a été le gagnant incontesté de la mondialisation récente en termes de gains strictement matériels. Notre « miracle » a été construit sur des bases malsaines. Pire, « la réforme » a été un leurre qui a exacerbé les distorsions déjà existantes. C’était prévisible que nous allions subir les conséquences. Notre obsession « calculée »pour l'exportation nous a aveuglés sur le fait qu'il est également possible d'équilibrer nos comptes avec des produits de substitution à l’importation, ce qui signifie produire plus pour la consommation locale et, par conséquent, dépenser moins de devises acquises sur l’exportation.
Le globalisme doit aller
de pair avec le localisme. Dans quelle proportion? Cela dépend évidemment du
contexte. Maintenant que l’idée fixe du globalisme a atteint son heure de
vérité et que nous ne nous sommes pas préparés à la concurrence mondiale sans
filets de protection, il est peu probable que le localisme, la panacée en
préparation, reçoive un accueil chaleureux. La frénésie du développement
immobilier pour les étrangers bien nantis, quelle que soit leur intégrité et
leur valeur ajoutée, a été un hara-kiri. La ré-industrialisation accélérée est
devenue une question de survie.
Ce n'est pas «la fin
de l'histoire» ni pour la mondialisation ni pour la démocratie. Cependant,
ils se développeront de plus en plus avec une emprise moins idéologique et une
pollinisation interculturelle. La surconsommation a mis le monde à rude épreuve
sur le plan environnemental et autre. Les efforts concertés nécessaires pour
inverser la descente aux enfers se manifestent trop timidement. Au lieu de
déclencher un cercle vertueux, le système a engendré une méfiance réciproque
entre les citoyens et le Cercle des Goulus - incitant ainsi la quête de
rente de situation. Pour la grande majorité en tant que mode de survie, et pour
le Cercle des Goulus, encaisser. Le plus souvent, la fin justifie les moyens.
La Nouvelle-Zélande a été
une star de la mondialisation. Néanmoins, la nouvelle Première ministre Jacinda
Ardern qualifie le capitalisme d’« échec flagrant », car la majorité
des Néo-Zélandais ne s'identifient plus aux données du produit intérieur brut.
Jacinda Ardern s'engage à rétablir le lien entre le gouvernement et les
citoyens et à rétablir la confiance dans le système
avec « douceur ». Le temps nous dira quel sera le succès d'un
tel « laboratoire de la politique progressiste ». La Nouvelle-Zélande
est plus de 100 fois plus grande que Maurice, et pourtant le gouvernement de
Jacinda Ardern a réagi promptement pour faire face à la flambée des prix de
l'immobilier: la plupart des étrangers sont désormais interdits d'acheter une
maison. Cette décision audacieuse ne devrait-elle pas faire honte à notre Cercle
des Goulus?
Faudra-t-il nos
propres « Brexit » et « gilets
jaunes » pour que le Cercle des Goulus puisse enfin voir la lumière?
Les preuves s'accumulent pour démontrer comment, lorsque les institutions
pourrissent, que même les chiens de garde discriminent et les « ecowarriors »
get figir, la route vers la ploutocratie est pavée de tendances
kleptocratiques. Que faire ? Une révolution s'annonce douloureuse.
Nous vivons dans une époque où le bien-être réel des citoyens pourrait découler
du pouvoir du consommateur. Par contre, la thérapie par le shopping n'est qu'un
palliatif. Les citoyens doivent peut-être prendre les devants en boycottant les
marques représentées par des acteurs qui se nourrissent du sens le plus
méprisant de la citoyenneté d'entreprise. Ou peut-être qu'un changement radical
de nos habitudes d'achat peut potentiellement avoir plus d'impact. Notamment,
en évitant d'acheter une nouvelle robe noire fast fashion à l’occasion de
chaque soirée à venir ou chaque appareil électronique « viralisé ».
La « slowbalisation » ne
signifie pas anti-mondialisation. Elle aspire à la décroissance des politiques toxiques
et de la surconsommation, et en contrepartie, à la croissance du bonheur. Sans
une synergie d'apports vertueux et la mise en œuvre d’un plan intégré, les
chances qu'un nouveau modèle de développement aboutisse demeurent faibles.