Mauritius Times
* Actualité oblige, j’aimerais d’abord avoir votre point de vue sur la révision
du Double Tax Avoidance Agreement avec l’Inde, telle que consentie par le
ministre Bhadain et approuvée par le Conseil des ministres ? Est-ce un
gâchis ou on devait arriver là tôt
ou tard, donc inévitable ?
Les
accords préférentiels ne sont jamais éternels. Dans ce cas, le sunset a toujours
été une épée de Damoclés. Un gouvernement responsable aurait préparé la
transition bien en avance. Or, nous assistons au même mélodrame que dans les
secteurs sucre et textile où les baby walkers ont été, en plus, motorisé
avec de l’ultra soft money. Quand
on est dans une bulle, tout évènement extérieur est de type « Black
Swan », humainement impossible à prévoir !
Lorsque Richard Arlove, CEO d’Abax, dit qu’il considère Maurice comme un centre
financier plutôt qu’un centre offshore, je pense qu’il a tout cerné. Pour
exprimer notre gratitude, il serait plus digne de remercier l’Inde de nous
avoir offert des baby walkers pour canaliser leur investissement de l'étranger. Nous finirons
bien par comprendre que la clé de la prospérité pour tous réside dans la vraie
compétitivité que seules l'innovation et la productivité peuvent garantir.
Ceci dit, les « Panama
Leaks » ne sont que le sommet de l'iceberg d'un monde qui tourne à
l'envers. Dans une lettre ouverte, des leading économistes dont Ha-Joon
Chang de l'université de Cambridge et le prix Nobel Angus Deaton mettent
en garde les dirigeants du monde : les tax havens, incluant Delaware,
Luxembourg et la Suisse, « serve no useful economic purpose and
benefit rich at expense of poor ».
* Notre
parcours depuis l'indépendance vous paraît-il plutôt glorieux ou plutôt chaotique ?
En
1968, un dollar américain (US$) valait environ 5.55 roupies mauriciennes (MRU)
et il fallait environ 3.05 dollars singapouriens (S$) pour se procurer US$1.
Aujourd’hui US$1 vaut environ MRU35.50 et US$1 vaut environ S$1.38. Donc,
grosso modo, le dollar singapourien a gagné 55% en pouvoir d’achat et la roupie
mauricienne a perdu 83% de sa valeur.
Comme dans les deux cas la richesse nationale est principalement produite par
le commerce avec l'extérieur, cet écart invraisemblable explique, même si
partiellement, la différence irréconciliable entre nos parcours. Brandir le
revenu per capita pour soutenir le contraire n'est pas convaincant car il ne
capte pas la réalité du terrain. En revanche, mesuré en parité de pouvoir d’achat,
qui est un outil utilisé par les économistes pour tenter de corriger les
distorsions, il démontre combien le désir d’atteindre le seuil des pays à
revenu élevé n’est qu’une chimère.
Maurice
a été un underachiever. Nous avançons les yeux rivés sur le rétroviseur.
Le fait de jubiler lorsque nous surpassons les autres pays africains signifie
que nous nous contentons de briller dans une ligue de niveau inférieur. Cela
dit avec empathie pour les peuples qui n'ont pas eu ou n'ont toujours pas les
dirigeants qu'ils méritent.
Je
dirai que nous avons opté pour un modèle de développement, disons plus spontané
que réfléchi et planifié, qui glisse malheureusement vers le chaos. Il existe des
signes qui ne trompent pas pour démontrer ce “miracle” à multiples vitesses. Un
exemple parmi tant d'autres, le prix pratiqué par un contracteur ou
prestataire, peu importe le domaine ou secteur, varie selon l'image du client,
c'est à dire celui avec ou sans voiture, celui avec voiture de luxe et villa,
l'expatrié mauricien ou autre (donc revenus en monnaies sonnantes et
trébuchantes !), etc.
*
Paul Jones affirme dans une interview de presse « je me suis toujours
refusé à m’inscrire dans une logique qui consiste à chercher des raisons
exogènes pour expliquer mon échec ou pour en faire les conditions de la
réussite de notre société ». N’était-ce pas un résumé de ce qui a mal
tourné à Maurice ?
Il
décrit certainement ce qui constitue les fibres de l’entrepreneur : cette
faculté à prendre des risques, d’anticiper les inévitables freins, de s’adapter
au contexte en mutation permanente pour mettre en œuvre une vision. Evidemment
sans chercher de bouc émissaire face à chaque inévitable contrainte. Soit le
contraire du rentier qui œuvre à partir des marchés pré-verrouillés et des
bénéfices sécurisés. Bien souvent sans faire grand cas des moyens pour parvenir
à ses fins.
Si
sa réplique cinglante répondait précisément à la requête aussi lassante que
cynique d'affaiblir davantage la roupie, Paul Jones explique ultérieurement
dans l'entrevue qu'une stratégie n'est gagnante que si elle s'articule autour
du bien-être du capital humain. Le citoyen-employé est motivé que s'il est
convaincu qu'il ne subit pas de discriminations et que ses efforts sont
récompensés équitablement. Dans un pays où pratiquement tout ce qui est
consommé est soit importé, soit a des intrants importés, la dévaluation d'une
monnaie équivaut à un prélèvement sournois sur les rémunérations. C'est absurde
d'exiger une hausse en productivité d'une personne qui ne s'identifie guère au
projet.
Le
drame c’est que de telles voix n’agissent pas comme interlocuteurs privilégiés
du gouvernement. Ainsi, les policies des gouvernements successifs ne
sont pas propulsées
par des énergies productives et innovatrices. Mais fatalement par la quête d’affirmative
action à l'envers.
* Nous devons donc accueillir avec soulagement la déclaration d’Anerood Jugnauth
à l’effet que « l’immobilier est un développement trop facile, pour en
faire que des profits. Je ne le considère pas comme du développement réel » ?
Cet
enivrement a occulté nos multiples défis tout en contribuant à
asphyxier le système. Depuis, une bulle immobilière gonflée par la spéculation
foncière, l’argent « offshorisé » et la roupie en chute libre sévit
au point de rendre les terrains encore plus inaccessibles à la majorité des
Mauriciens. Le signal émis est certes décisif, maintenant voyons comment
tout cela va se traduire dans les faits.
Hélas
ils n’étaient pas nombreux ceux qui, comme le perspicace Percy Mistry, à avoir
tiré le signal d’alarme. Le vide a été vite comblé par les « experts ».
L’un d’eux se chargeant de « prouver » que les bénéfices pour les
développeurs de l’« Integrated ResidentialScheme » (IRS) n’allaient
pas être disproportionnés mais, paradoxalement, il ne fallait surtout pas « tuer
la poule aux œufs d’or » !
Je
reste sceptique que Maurice du « miracle » soit devenu un magnet
pour attirer les investisseurs les plus aptes à contribuer à un saut
qualitatif. D’autre part, cette folie agit comme carburant pour exploiter
les terres autrement que pour notre souveraineté alimentaire, déjà sérieusement
déficitaire.
*
Pour l'anthropologue Tijo Salverda, « l'évolution de Maurice se joue au
niveau économique, qui conditionne tout ». Partagez-vous cet avis?
C'est
même très pertinent. Dans ‘World on Fire: How Exporting Free Market Democracy Breeds
Ethnic Hatred and Global Instability’, Amy Chua analyse comment une « market-dominant
minority », à travers son accaparement du pouvoir politique, est
source de crispation potentiellement explosive. Surtout quand les inégalités
deviennent criantes. Arrêtons d'en faire une question strictement d'épiderme.
L'autocensure et la langue de bois ne vont pas nous permettre
d'exorciser nos démons.
Malgré
son engagement remarquable contre la perversion de la démocratie à travers sa
monétarisation, Ralph Nader le « greatest president America never had »
contemporain, n'a
connu qu'un plébiscite bien confidentiel. Aujourd'hui, avec le soutien en masse
des nouvelles générations désenchantées, Bernie Sanders a au moins le mérite
d'en avoir fait une préoccupation mainstream. Presque tous les
soulèvements à travers le monde ont pour moteur d'indignation la relation
incestueuse entre les gouvernements et le Big Business.
A
Maurice, Ashok Subron est quasiment seul à en faire un combat. Quant à la voix
de Lalit, elle reste isolée par rapport à l'exigence d'une réforme agraire que
Jean-Marie Cavada aussi préconise, le recul aidant. Les « Smart Cities »
et « Heritage City » sont-elles à ce point salvatrices pour ne pas
susciter un ralliement citoyen allergique à toute forme de ploutocratie ?
Allons-nous continuer de rebondir comme des crétins sur les diversions ?
* Peut-on alors parler de faillite de notre intelligentsia?
Si
l'intelligentsia devrait avoir pour vocation de déconstruire la complexité de
notre existence et d'essayer de proposer des possibles orientations dans
l'intérêt général, alors nous vivons son antithèse. Ils ne sont pas nombreux à
avoir préservé une distance critique face à toutes sortes de mythologies. Ne
soyons pas surpris si les complaisants et les charlatans monopolisent la scène
médiatique.
Les
rares exceptions de vigilance citoyenne, s'exprimant le plus souvent sans
corollaire doctrinal et partisan, qui me viennent à l'esprit étant la plupart
des éditoriaux et articles d'opinion de Mauritius
Times, Sanjay Jagatsingh, Richard Munisamy, Chetan Ramchurn, Aichah Soogree,
Umar Timol ou encore Ploum Ploum sur les comment boards. Je suis
convaincu qu'il existe beaucoup d'autres sur les réseaux sociaux, dans les
salons privés ou amba-laboutik.
Bien
que nous assistions à une lente érosion de l'omerta entre politiciens décrédibilisés,
ces derniers se réjouissent toujours de la « culture de débat » qui
débouche rarement sur autre chose qu'une polarisation et une bataille d'égos.
Ils ont même intérêt à l'encourager car elle incarne le rôle de « divide
and rule ». Lorsque Ivor Tan Yan, la relève de Jack Bizlall selon son
propre aveu, déclare qu'il souhaite œuvrer au-delà du binôme gauche ou droite,
je suis quelque part rassuré. Maintenant, pour ne pas basculer dans le
nihilisme, il s'agit de transformer nos énergies de l'indignation en fresh
thinking et actions concertées.
Les
médias de masse ont du mal à se réinventer dans l'ère numérique. Beaucoup sont
toujours prisonniers de la publicité et de l'immédiateté. New
York Times comptant parmi les exceptions bonifiantes. Ce n'est pas en se
frottant avec des Laurents Joffrins de ce monde que leur
pertinence reviendra. Le marché a soif de journalisme d'investigation crédible. Les
médias et réseaux sociaux peuvent agir comme agents du changement que s'ils ne
comptent pas uniquement sur leur viralité pour exister.
Face
au déferlement d'informations sur Internet, nous avons besoin de citoyens
capables de discernement pour filtrer ces informations et développer des idées
cohérentes pour contribuer à réinitialiser le Mauritius-building
manifestement en panne.
*
Mais les gouvernements successifs nous proposent souvent des réformes ?
C'est
un ensemble de conditions qui fait que les policies passent ou cassent. La
recherche de collaboration entre tous les stakeholders doit primer. Les policies doivent
être homegrown mais en intégrant et adaptant des expériences éprouvées
de par le monde. La dépendance systématique sur le consultant étranger
traduit un manque de confiance qui disempower les compétences locales
sans pour autant apporter de résultat souhaité. Pire, le plus souvent, c'est la
consécration du « batt-batte » qui gangrène le système.
Prenons
les exemples de Zara et Amazon, deux mastodontes du retailing
international. La logistique est le fondement de leurs opérations. Pensez-vous
qu'ils font appel à un cabinet de consultants, peu importe la notoriété, ou
quelqu'un qui a préparé un PhD sur des systèmes de logistique ou un MBA sur la lean
distribution de Toyota que tout le monde envie ? Zara et Amazon ont loué le
service des responsables de la logistique de Toyota et les ont invités à
collaborer avec leurs responsables pour identifier ensemble les faiblesses et
optimiser leurs systèmes avec des paramètres « glocaux » .
Le
même mindset anime la métamorphose de Singapour. Lee Kuan Yew a
toujours été un admirateur de la quête de l'excellence du Japon et de la
Suisse. Mais il n'a jamais voulu que Singapour devienne ni le Japon et ni la
Suisse. Il a compris que pour que la mondialisation ne soit pas vécue comme un
calvaire, le pays devrait s’imprégner de son propre narrative. Nous
sommes tous uniques.
* Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit en termes de/d’une mauvaise approche
dans la résolution des problèmes qui nous affectent localement ?
Les accidents de la route : nous éprouvons
toujours de mal à réduire le nombre de victimes de nos routes, et cela découle
aussi, à mon avis, d’un problème de mindset. Si pour notre développement le taux de croissance est notre obsession, dans ce cas c'est la répression de la vitesse.
D’une
part, les policiers ont tendance à ignorer d’autres délits comme la conduite
en état d’ébriété ou le dépassement en zones dangereuses. D’autant plus que le
nombre de contraventions collecté peut déterminer les promotions, les usagers
apprennent vite à game le mécanisme de contrôle stéréotypé et policiers,
chauffeurs et contrôleurs d’autobus entretiennent souvent une réciprocité
malencontreuse.
D’autre
part, que faisons-nous des infrastructures routières qui sont loin d’être aux
normes requises, des driving schools dépassées ? Quand allons-nous
verbaliser les jaywalkers et les cyclistes récalcitrants ? Et quand les
fanas de vitesse pourraient satisfaire leur yen
sur des circuits dédiés ? Le conseiller réunionnais tient un discours
prometteur. Espérons qu’il surmontera les obstacles visibles et invisibles.
* Une
réforme du mindset serait sans doute souhaitable, mais il parait qu’il
serait easier said than done ?
Réforme
n'est peut-être pas le terme que j'emploierais. Mais notre mindset est
définitivement hors-jeu. Nombreux parmi ceux que le « miracle » a
catapulté sur le devant de la scène politique, économique et médiatique me
paraissent irrécupérables.
Nous
sommes au cœur d'une nouvelle révolution industrielle, dynamisée par Internet,
les réseaux sociaux et l'économie de partage. Aujourd'hui Uber, le plus grand
opérateur de taxis, ne possède aucun taxi; Alibaba, le plus gros commerçant, ne dispose
d'aucun stock de marchandises; et Airbnb, la plus vaste offre de logement aux
vacanciers, ne possède aucun bâtiment. Nous persistons avec les mêmes outils à
nos propres risques et périls. Surtout que les rating systems comme
TripAdvisor sont aussi omniprésents qu'impitoyables. A l’avenir, pas
seulement les politiciens et les business, les médecins, les avocats, et les
enseignants aussi will be kept on their toes !
Dans
un article d'anthologie, s'inspirant du poète Archilocus, le penseur Isaiah
Berlin postule que le monde est dans l'ensemble façonné par le mode de pensée
incarné soit par le Hérisson, soit par le Renard. Le Hérisson réduit le monde à
des théories abstraites, qui peuvent propager les germes de l'autodestruction
lorsqu’ils se cristallisent en idéologie, et procède avec une vision sans
nuances et des principes figés dans le déni de la réalité.
En
revanche, le Renard procède lui par étapes, rectifiant ses intuitions avec des
informations renouvelées au fur et à mesure qu'il avance. De ce fait, le Renard
a tendance à commettre moins d'erreurs de jugement. Un insight qui a
grandement influencé les recherches de Daniel Kahneman, Malcom Gladwell et
Philip Tetlock.
La ploutocratie internationale parle de « New Normal » et réalise
soudainement que la croissance à tout prix est insoutenable. Le Fonds
monétaire international et la Banque mondiale, deux pompiers pyromanes
notoires, nous préviennent des méfaits des inégalités qui découlent en
grande partie de leurs propres prescriptions. D'autant plus que, comme décrié
par Joseph Stiglitz, les rares Renards recrutés, tels Raghuram Rajan et Mohamed
el-Erian, n'y font presque jamais carrière. Avons-nous à ce point l'instinct
masochiste pour continuer à nous soumettre à leurs « sagesses » ?
Depuis plus de trente ans le monde produit peu de Renards. Au contraire, selon William Deresiewicz, ancien professeur à l'université de Yale, même l’Ivy League
produirait des moutons, sauf qu'ils soient en version smart ! Nous pâtissons
d'une pénurie de policymakers ayant intériorisé la notion que
tout est connecté. Pas étonnant que les CEOs les plus efficaces ont
souvent une formation d'ingénieur. Les policies des différents
ministères doivent êtres synchronisées. Autrement, Maurice va continuer de
générer des bulles et des ghettos.
Le
monde a bien produit de polymaths et des iconoclastes comme Steve
Jobs, Pierre Legendre, Ashis Nandy, David Ogilvy, Nassim Taleb, Leonardo
da Vinci, Lee Kuan Yew, etc. Dans ce même registre, Maurice gagnerait à produire
des centaines de Amédée Darga, Khalil Elahee, Jean-Claude de l'Estrac, et d'autres moins connus du grand public tels Akash Gura Goredo,
Farhad Khoyratty et Daden Vencatasawmy.
*
Ce que le gouvernement propose pour le système éducatif ne
répondent-ils pas à ces exigences ?
Le
même mindset donnera le même résultat. Ce n'est toujours pas
l'apprentissage qui prime mais la mémorisation pour réussir aux examens.
Anthony Seldon, éducateur respecté en Angleterre, affirme que « c'est devenu
drôlement facile d'obtenir trois A au A-level ». Car les écoles et
les instituteurs instrumentalisent la finalité de l'examen en spéculant
habilement sur les questions d’examen à venir et en gavant les élèves de past
exam papers.
La
majorité des Mauriciens seront surpris d'apprendre que souvent la majorité des
ministres suisses n'ont pas d'équivalent du HSC. Cela ne signifie pas qu'ils
n'ont aucune formation. Au contraire, la Suisse, l'un des pays les plus
performants au monde, a dé-stigmatisé la formation professionnelle au niveau
secondaire. La majorité des ressources humaines étant déjà préparées avec
des méthodes pointues pour intégrer le monde du travail car bien de carrières
ne requièrent pas des études longues et surtout coûteuses et inadaptées. Quitte
à approfondir après pour ceux qui souhaiteraient.
Où en est-on avec le projet d'école d'Arts et Métiers et l’homologation des compétences
des artisans et techniciens sans diplômes? En 2017, 27 écoles de Kent, en
Angleterre, auront intégré le Career-related
Programme de l’« International Baccalaureate ». Le but ultime de
tout système d'éducation est de stimuler et d'aiguiser la faculté cognitive des
apprenants. La formation doit être interdisciplinaire et le plus experiential possible pour répondre aux
comportements des Digital Natives.
* Par ailleurs, quelles sont les leçons que nous pouvons tirer de la
consécration de Leicester City en Premier League ?
Dans
les années 1930, la ville se targuait du slogan de « Leicester clothes
the world ». A partir des années 1980, elle subissait de plein
fouet l'externalisation de la production aux pays aux salaires moins élevés. Pour
corser la situation, TINA, le « There Is No Alternative » cher
à Margaret Thatcher, sévissait. L'obsession de tirer l'expansion économique par
le secteur des services, surtout financier, provoqua une désindustrialisation
massive que le pays regrette amèrement aujourd'hui. Maurice doit prendre bonne
note et rectifier le tir.
Ayant
toutefois préservé ses fibres entrepreneuriales, Leicester retrouve sa lustre à
partir des années 2010. A la même époque, le milliardaire Vichai Srivaddhanaprabha
prend les rênes du club de football. La chance veut que ce soit un entrepreneur
qui mise sur le long terme. Au lieu de recruter à grand frais des stars, il
investit dans l'infrastructure, la formation et déniche des talents cachés. Le
coach Claudio Ranieri y injecta avec énormément de maîtrise le sens tactique du
football italien et le team spirit qui donne des ailes. Ensemble ils ont
su, avec grande humilité, galvaniser leur équipe en insufflant something
to look forward to. Renards, l'alias de Leicester City, est loin d'être une
imposture.
Mauritius
has got talent mais ceci a été outrageusement dilapidé. En réalité, nous
avons créé les conditions pour brimer ces talents. Nous ne capitalisons pas sur
nos forces.Que
faisons-nous de l’Air Quality Index qui
consacre la qualité de l'air mauricien ? Que faisons-nous de la corniche de
Baie du Cap, l'une des 10 plus belles routes du monde selon Petit Futé ? Plus
lamentablement, laisserons-nous notre cosmopolitisme au pouvoir créatif sans
égal sombrer davantage dans une schizophrénie identitaire ?
* Comment accueillez-vous le crackdown
sur les marchands « ambulants » ?
Je
n'ai jamais compris pourquoi il fallait un jugement de la cour pour que la rule of law
soit en vigueur avec zéro tolérance. J'ai été témoin récemment d'une descente
des policiers et des inspecteurs municipaux. Ils se sentaient tellement
valorisés qu'ils exécutaient ce qui devrait constituer leur routine avec
sérieux et même fierté. C'était réconfortant tellement nous avons été amené à
les percevoir comme des agents insignifiants. Pourvu que ça dure !
Ce sont les humains qui font et défont les institutions. Elles peuvent
fonctionner comme il faut lorsque le signal émanant de la tête du pays est
ferme, cohérent et impartial. Autrement, certains peuvent l'interpréter comme
une justification morale pour ne pas observer la rule of law. Si
les autorités avaient sévi contre les premiers marchands « ambulants »,
il n'y en aurait pas une masse à vouloir leur emboîter le pas et en faire une
source de revenu ou même de gagne-pain.
Un marché se désintègre sans clients.
Faisons-nous preuve de civisme et de citoyenneté lorsque nous contribuons à la
demande en achetant leurs produits ?
La
majorité d'entre eux n'ont que la prise de risque comme qualité pré-requise
pour l'entrepreneuriat. Ils sont très peu à démontrer un sens de
l'innovation. Pire, ils étalent en toute impunité beaucoup de produits
contrefaits. Par contre, convenablement formés, ils pourraient optimiser
leur esprit d'initiative dans des entreprises qui ont bien de mal à
distinguer cette qualité sur le marché du travail. Gertrude Perrine est une
bouffée d'air frais qui défie l'âge en plus. Elle utilise Facebook comme
vitrine de Zolizil pour vendre des accessoires et des vêtements de sa propre
création.
Sinon,
pour corriger la faillite du marché immobilier qui fait flamber les
loyers, le gouvernement peut aussi offrir, d'une part, des emplacements
avec des loyers réalistes et, d'autre part, une incitation fiscale pour le
commerce, toutefois bien réglementé, à travers les Food Trucks innovants
qui vendraient autres choses que les mêmes « kebabs » et les vans de tilartiks, Made in Moris autant que possible, pour
faire revivre l'artisanat qui transmet le caractère de n'importe quel pays. Il
serait aussi tout à fait envisageable de décréter piétonnes certaines artères,
disons, les samedis après-midi, les dimanches et les jours fériés, hors
horaires d’ouverture des commerces non-« ambulants ».
*
Diriez-vous qu’il y a un divorce entre les citoyens, la réalité locale et
internationale, et nos dirigeants ?
Les mesures du bonheur réel n'ont jamais évolué. En revanche, nous
inventons des mesures qui créent l'illusion du bonheur. La surconsommation a
été notre drogue. Si le monde « développé » s’en désintoxique
doucement et la frugalité devient graduellement la norme, ailleurs
l'ostentation continue d'agir comme élixir du bonheur. Souvent le civisme,
disons d'un propriétaire de voiture, est proportionnel au prix d'achat de la
voiture ! Ce qui signifie que nous devons modifier nos habitudes,
mais aussi nos attentes et nos offres par rapport à nos principaux marchés. Nous
sommes à la fin d'un cycle.
Hélas nos dirigeants persistent dans leur nombrilisme. Par exemple, ils sont
pathétiques lorsqu'ils justifient l'échec de leurs incantations vers la « modernité »
par l'incapacité des citoyens, souvent « trop assistés, pas assez sérieux »,
à les suivre. Alors que personne n'ignore qui sont les incompétents et les fat
cats. Le « miracle » nous a anesthésiés. Il ne nous
reste que notre sens de trassman pour surmonter les inadéquations rampantes.
Prenons la connectivité
interne et externe. Au niveau externe, l'ouverture, même tardive, de
l'espace aérien désenclave graduellement le pays. Espérons que l'arrivée
annoncée d’AirAsia va contribuer à l'affordability de la
destination en attendant que que le watchdog de la concurrence décide de
mordre. Pour
être compétitive, l’activité portuaire doit augmenter sensiblement le volume de
transbordement.
Paradoxalement, l'ouverture aux « bus individuels » a été une
aussi mauvaise décision que le démantèlement de la majeure partie du chemin de
fer existant. Si le transport public suisse et japonais sont si enviables, ce
n'est pas seulement par rapport au confort du service et l'étendu du réseau
mais aussi l'affordability du système. Nous sommes déphasés sur les
trois critères. Nous sommes condamnés à investir dans un réseau ferroviaire,
même largement subventionné. Pas uniquement l’axe Port Louis-Curepipe mais pour
de desservir tout le pays. Le transport public actuel accentue notre
faible productivité. Comment ?
D'une part, restrictif en termes d’horaires d'opération, coûteux pour les entreprises et
les ménages, réduisant la mobilité des employés et la
possibilité de recruter au-delà des régions avoisinantes. D'autre part, nos
dirigeants n'ayant toujours pas intégré la dimension revitalisante des loisirs et
des activités culturelles, les citoyens ne peuvent que limiter les
sorties. Ce qui, de surcroît, n'a pas d'impact multiplicateur sur les activités
commerciales qui peuvent en découler. C'est possible, par exemple, de rendre
gratuit le transport des enfants accompagnés d'adultes les week-ends.
Souhaitons que l’annonce de transformer le Champ de Mars en parking géant, au
lieu de le convertir en espace vert avec des espaces de jeux, entre autres, ne
serait qu’un autre délire qui ne va pas se matérialiser ! Souhaitons, en
revanche, que l’excellente idée de chercher la collaboration des Estoniens pour
fluidifier le pays avec une informatisation généralisée où chaque citoyen
aurait un mot de passe pour effectuer ses démarches sans se déplacer, va elle
se matérialiser.
* Nos softwares comme
nos hardwares seraient donc parasités ?
Dans le lumineux « The Scandal of Money », George Gilder explique que
la monnaie n'est pas uniquement un moyen d'échange économique mais aussi
un moyen d'échange d'informations économiques. Ainsi, pour lui, les partisans de
la « soft money » seraient pires que des rentiers. Ils
seraient des parasites. Quand nous savons que notre monnaie est ultra « soft » et
l'asymétrie de l'information intrinsèque prévalant, nous ne pouvons que pleurer
notre sort. Ils ne sont pas « kouyons » les
dirigeants de l'Estonie, Hong Kong et Singapour pour fonder leur expansion
sur un parcours soutenu par de la « hard money ». Touria Prayag, au sein de la presse mainstream, et l'économiste Eric Ng Ping Cheun comptent parmi les rares voix à s'en offusquer.
Heureusement qu’il y a une prise de conscience des parasites dans nos
assiettes. J’ai bien peur que les séquelles de l’utilisation abusive des
pesticides et des herbicides se fassent dramatiquement sentir. Ajoutons la
prédominance de produits tellement transformés, comme le lait en poudre et nos
fromages préférés, qui n’ont même pas besoin d’être préservés au frais !
Face
à l’épidémie du diabète, par exemple, les Singapouriens ne font pas semblant. Ils
ne s’engagent pas à éliminer le diabète, c’est-à-dire se berner dans une
illusion, mais à le minimiser avec zéro tolérance face aux dérives qui mènent
vers la maladie. Apprenons, comme eux, à thin-slice, gérer, légiférer,
communiquer, sanctionner, faciliter, mesurer, accompagner, ajuster et surtout
synergiser. Bref, apprenons comment faire fonctionner Maurice en s'entourant
des personnes selon leur capacité à créer de la valeur, plutot que selon leur
faire-valoir.
Le sentiment “tous
pourris” n'est pas soutenable. En politique mainstream, Osman Mahomed et
Kavi Ramano, par exemple, ne peuvent pas être des exceptions. N’empêche, aussi
longtemps que les parasites, de toutes formes, de toutes couleurs,
s'infiltreront dans le système, sans arbitres pour veiller, la confiance
ne se manifestera qu'en dents de scie, le cycle vertueux ne sera qu'un fantasme
et notre « devlopma » restera au service du capitalisme
débridé !