La scène qui déclenche la course-poursuite de Madame La
Victoire, la chasseuse d'esclaves, contre les marrons est provoquée par les
pleurs d'un bébé contrarié dans sa tétée. Ces images bouleversantes de cette
maman en fuite avec son bébé captent l'essence du film: il y a une limite à la
douleur qu'un être humain peut supporter avant de chercher énergiquement refuge
et réparation. Le tout est magistralement mis en scène dans la forêt sombre avec
un réalisme saisissant. Lorsque, dans un rêve, l'esclave Massamba, le père de
Mati, tue brutalement l'esclavagiste, peu de spectateurs resteraient
insensibles. Le réalisateur Simon Moutaïrou mérite d'être salué pour avoir
évité la facilité d'illustrer la violence pour la violence. Il parvient à
transmettre son souhait d'éveiller les consciences sans recourir à la
surenchère, l'énergie subtile canalisant plus intensément les émotions
profondes.
Le suprémacisme moral de Madame La Victoire est un piège dans lequel nous pouvons tous tomber. Lorsque nous vivons dans une « tribu » sans passerelles avec le monde extérieur, nous n'alimentons que des affinités avec nos semblables selon notamment le pays d'origine, l'ethnicité, la religion, la classe sociale et le genre. Ainsi, en perdant le recul, la jugeote et même notre humanité nous avons tendance à sacraliser nos valeurs et maudire celles des autres. Et si en plus les élites ne sont pas très éclairées, elles veilleront à ce que le statu quo perdure. Dans une société plurielle, les liens sociaux se tordent lorsque le sentiment d'avoir un droit supérieur se répand. Par ailleurs, le fils « rebelle » exprime une certaine vérité sur le fait que souvent les jeunes générations, dotées de nouveaux repères, sont plus aptes à élargir leurs visions et à faire preuve d'une plus grande ouverture d'esprit.
Ni chaînes ni maîtres n'est pas un chef-d'œuvre, c'est une tentative louable de nous offrir des moments lumineux. Se jeter de la falaise pour mourrir comme point culminant de la fin du film plutôt que de subir la mort lente de l'âme en captivité apporte un soulagement dans la dignité. Un silence assourdissant s'est installé dans l'assistance alors que le générique de fin défilait comme pour exprimer une libération. Un applaudissement mérité a suivi. Le public français et même une partie du public mauricien seront manifestement plus secoués par cette perspective qui brise les tabous historiques. La perspective des autres étant « banalisée » par d'innombrables récits sur d'autres colonisateurs.
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