Nos syndicalistes et hommes d'affaires semblent incapables de regarder dans la même direction. Le bras de fer entre d’un côté, la quête d’un revenu qui peut compenser la perte de pouvoir d'achat et de l’autre, la capacité financière des employeurs à atteindre cet objectif, mine toute synergie potentielle apte à stimuler une expansion socio-économique équilibrée.
L'avantage comparatif d'une nation repose principalement sur l'engagement et la compétence de ses élites politiques et des affaires à créer l'environnement optimal qui peut, d'une part, répondre aux attentes du capital humain pour une qualité de vie décente et, d'autre part, satisfaire un retour juste sur investissement des entrepreneurs. En termes d'élaboration de politiques, cela signifie exploiter les capacités des parties prenantes afin d’inspirer la confiance, de stimuler la productivité globale et d’encourager l'innovation; sans doute les principaux moteurs de l'avantage comparatif tant convoité par toutes les nations.
Les symptômes de notre décadence sont omniprésents, pire, la situation s'aggrave de jour en jour. Pourtant, le diagnostic complet se fait toujours attendre. Allons-nous continuer d’administrer des palliatifs? De plus en plus le repli identitaire et le recours à l’émigration séduisent les citoyens. Il est extrêmement douteux que l’accès facile aux jeux du hasard soit le réconfort mental souhaité face au désespoir et au sentiment d’impuissance. Alimenter d'autres dépendances, y compris les drogues dures, ne l'est certainement pas. Paradoxalement, nos compatriotes doivent en outre supporter le poids d'un modèle de développement fétichisé, axé sur la vente de biens immobiliers à des étrangers, surtout attirés par l'optimisation fiscale. Dans son sillage, le marché de l'habitat devient inaccessible aux locaux. Du coup, les incitations qui restaient aux entrepreneurs pour s'aventurer dans la production alimentaire, et donc de contribuer à la souveraineté alimentaire nationale en déclin constant, sont davantage plombées.
À moins que vous ne traitiez directement et régulièrement des opérations de change, vous ne pouvez pas imaginer à quel point le taux de change peut avoir un impact négatif sur les dépenses et les revenus. La plupart des gens sont confrontés à une réalité brutale du pouvoir d'achat réel de la roupie et de leur propre pouvoir d’achat lorsqu'ils voyagent ou transfèrent de l'argent vers leurs enfants qui étudient à l'étranger. Dans notre contexte où la production pour la consommation locale et étrangère repose grandement sur des intrants importés, une politique délibérée de dépréciation de la roupie s’infiltre à travers un large éventail de coûts et de prix, et les gonfle irrémédiablement.
Maurice a du talent, mais il a été étouffé
La dépréciation de la roupie devient venimeuse lorsqu'elle augmente plus vite que les salaires. C’est ce qui se passe dans notre cas. Plus la dépréciation dure, plus les exportateurs l'attendent et moins elle stimule l'innovation et les gains de productivité. Non seulement cela nuit à notre compétitivité internationale et accentue les inégalités de revenus, cela induit aussi des coûts inattendus - notamment l'affaiblissement de notre rule of law, les maux sociaux, la xénophobie, l’incivisme, la dégradation de l'environnement, la banalisation des articles contrefaits et la tolérance pour la livraison de biens et services médiocres. Ainsi, une monnaie continuellement dévaluée fragilise profondément le tissu social et sabote l'émergence d'une nation épanouie.
Pour Michael Porter, professeur plébiscité de la compétitivité, « la dévaluation amène une nation à prendre une réduction de salaire collective. Les exportations basées sur une main-d'œuvre et une monnaie bon marché ne soutiennent donc pas un niveau de vie attrayant. » Lorsque vous gagnez votre vie en une devise forte ou à travers une activité étroitement liée d'une manière ou d'une autre, vous ne ressentirez pas la pression comme le ferait quelqu'un qui perçoit un salaire libellé en roupies. Du moins lorsque la dépréciation de la roupie est douce. Lorsque le glissement est plus abrupte et, parallèlement, la défaillance du marché dans différents secteurs sévit, nous le ressentons tous aussi douloureusement, même si pour les mieux lotis, s’en accommoder est moins pesant. Y a-t-il néanmoins de quoi se vanter d'être un multimillionnaire en roupies?
Nous ne pouvons pas nous permettre la décroissance comme le professent les nations avancées: nous devons être en mode rattrapage. Hélas, nous avons été maudits par une croissance du produit intérieur brut (PIB) qui a souvent été inflationniste, peu créatrice d’emplois et néfaste à l’environnement. Sans aucune mise à jour structurelle réfléchie de surcroît, nos insuffisances systémiques sont actuellement mises à nu – et nos administrateurs subissent un examen de compétence qui leur sont manifestement hors de portée. Tout compte fait, le rattrapage a été un mirage pour la plupart d’entre nous. La croissance soutenue du PIB nécessite un marché intérieur dynamique. Dans notre cas, nous n'avons d'autre choix que de nous ouvrir davantage au commerce international, aux expatriés et aux travailleurs étrangers pour soutenir une population vieillissante. Cela peut sembler intelligent de faire allusion à Dubai ou à Singapour. Mais c’est malveillant de préconiser plus de main-d'œuvre étrangère, aussi inévitable soit-elle, dans un contexte où les travailleurs ne sont pas suffisamment formés et se braquent - car naturellement ils ne se sentent pas adéquatement récompensés par un système vicié.
Une condition préalable jamais mentionnée est la stabilité monétaire de Dubai ou Singapour. Ce dernier a suffisamment de confiance en soi pour même intérioriser une appréciation soutenue du dollar singapourien. Karl Schiller, ancien ministre allemand des Finances, a été clair et sans concession: « La stabilité n'est pas tout, mais sans stabilité, tout est rien ». Il faudrait une sorte de baguette magique pour attirer les investissements directs étrangers industriels dans les conditions qui prévalent à Maurice. La réponse cynique est de se livrer au modèle fétichisé du développement immobilier pour les étrangers fortunés et de les traiter comme des citoyens de premier ordre. Simultanément, le pays se désindustrialise de façon débile.
Des élites nombrilistes
Selon The Economist, le chiffre quantifié par ceux qui prétendent pouvoir évaluer avec précision le désalignement monétaire est un « non-sens statistique ». A moins de se prendre pour Dieu, il est impossible d’identifier toutes les variables existantes pour tenter de jauger une réalité complexe. « Pour rendre la théorie des taux de change plus digeste », The Economist a lancé l'indice Big Mac en 1986. Selon les dernières données brutes disponibles, l'indice Big Mac suggère que notre roupie est sous-évaluée d'environ 46 %* par rapport au dollar américain. Ce qui est néanmoins bien réel est que de l'indiscipline fiscale, Maurice a maintenant basculé dans le je-m'en-foutisme fiscal - avec un processus de plus en plus pervertie par la corruption. Et c'est encore plus tragique. Lorsque le prix d'un dhal pouri, par exemple, passe de Rs 15 à Rs 20, après un certain temps, nous intériorisons le prix. Non sans que cela ronge notre portefeuille. Si cet équilibre illusoire est toujours hors de votre portée, vous devrez alors vous contenter de manger un dhal pouri de moins pour votre déjeuner.
Singapour a le leadership requis pour cibler un taux de change. Un luxe qui échappe à la plupart des nations. Par ailleurs, les banques centrales se sont faites une mauvaise réputation et en subissent actuellement un lynchage. Pour freiner la politisation de la politique monétaire et contenir le pouvoir discrétionnaire d'imprimer encore plus de roupies pour financer les déficits, nous devrons peut-être adopter un currency board comme l'Estonie ou Hong Kong et d'autres canaux offshore que les Britanniques ont mis en place pour protéger leurs fonds et optimiser leurs investissements. Notre plate-forme offshore fait exception avec la politique monétaire arbitraire du pays. Dans un monde complexe, rechercher la souveraineté monétaire pour des pays tel que Maurice, c'est comme chercher à toucher l'horizon. En fait, la politique monétaire super efficace de Singapour est souvent confondue avec un currency board.
Justement, qu'est-ce qu'un currency board ? C'est une autorité monétaire qui est légalement tenue d'émettre une monnaie locale à un taux fixe par rapport à une seule devise forte (ou à un panier de devises liées au commerce extérieur) avec toutes les unités en circulation garanties par des devises étrangères. Maurice a été le premier pays à gérer un currency board en 1849, ce jusqu'à à 1967. De plus, avec la crédibilité et la confiance instaurées, les ménages et les entreprises peuvent s'attendre à bénéficier d’un taux d'intérêt sur les prêts en ligne avec les pays des monnaies d'ancrage. Les Français sécurisent leur richesse en Afrique de l'Ouest avec une union monétaire autour du franc CFA, bien qu'à des conditions infiniment moins équitables. L'Union Monétaire de l'Afrique de l'Est avec une monnaie unique est prévue pour 2024. « Keys to Prosperity: Free Markets, Sound Money, and a Bit of Luck » écrit par le penseur économique Rudiger Dornbusch, dont le conseiller académique était Robert Mundell et les étudiants célèbres étaient Paul Krugman , Kenneth Rogoff, notamment, propose une lecture stimulante.
Maurice, la face surréaliste
Dans une petite économie ouverte, une monnaie saine est un facteur incontournable dans la réduction du coût d’exploitation des entreprises et de maintien des ménages. Le monde est de plus en plus polarisé: y ajouter plus d'incertitudes s'apparente à de la torture auto-infligée. Cela crée à son tour un cercle vicieux qui pèse sur la prime de risque des entreprises et aigrit le capital humain. Le récit national dominant de « l'entente silencieuse » entre l'élite politique et l'élite des affaires est l'expression de la façon dont les dirigeants mauriciens sont en réalité déconnectés de la base. L'air du temps incarne le triomphe de l'intérêt monétarisé sur l'intérêt général. Mesurer nos performances dans une monnaie dévaluée relève donc du délire. Et de l'indécence.
Cette déconnexion alimente les tensions et les impulsions réactionnaires se lâchent. Les perspectives anthropologiques et la pensée systémique avec un plan d’élaboration détaillé nous font cruellement défaut. Quelqu'un a-t-il constaté des balbutiements dans ce sens de la part de nos dirigeants, actuels ou aspirants? Les initiés proactifs de « l'entente silencieuse » seront mieux inspirés de prendre les devants conjointement avec des « non-membres » avisés. C'est une question de leadership éclairé et de salut pour tous. Indépendamment de comment les milliardaires en dollars Elon Musk et Richard Branson envisagent la vie dans l'espace. Un cocktail d'hubris, d'idéologie et de suivisme est toxique. Seule une dose d'idées créatives peut apporter une certaine sobriété.
* au taux de 1 USD = Rs 43.78 à mi-novembre 2022.
Calculé sur la base du prix d’un burger ‘Big Mac’ qui se vend à $5.66 aux USA, et à Rs 134 ($3.06) à Maurice.
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